La période de crise sanitaire que nous vivons actuellement est exceptionnelle dans son ampleur, mais également dans son impact.

Le déploiement en urgence d’un télétravail de masse, pour ceux qui le peuvent, et la poursuite d’activités sur site, pour ceux qui le doivent malgré le danger, est un laboratoire à ciel ouvert.

En matière de psychologie du travail ou de neurosciences cognitives, c’est l’heure de mettre à l’épreuve toutes les théories qui étaient sous-jacentes des évolutions du monde du travail.

Un nouveau monde?

Non, pas vraiment. Il s’agit plutôt d’une démonstration éblouissante de l’anachronisme des méthodes d’organisation de l’activité exploitées majoritairement jusqu’ici, et une confirmation que le changement est nécessaire.

L’un des aspects le plus remarquable peut se trouver lorsque l’on s’interroge sur les vecteurs de la motivation au travail.

LA théorie de la motivation

En tant que manager, j’ai souvent eu l’occasion de répéter à qui voulait bien l’entendre que je ne pouvais pas « forcer » la motivation.

En fait, c’était un peu plus complexe que cela. Ma collaboration avec une stagiaire en psychologie du travail, en début d’année, avait commencé à m’ouvrir les yeux sur les origines de la motivation.

Alors quelle est cette fameuse théorie de la motivation?

Et bien, il n’y en a pas une, en réalité, mais des centaines.

De la théorie de la hiérarchie des besoins, de Maslow, mettant l’accent sur la nécessité de satisfaction des besoins fondamentaux, en passant par la théorie du besoin de réalisation (McClelland) ou encore la théorie de l’équité (Adams), ce thème a fait l’objet de nombreuses études depuis plus de 70 ans.

Or donc, quelle est la bonne?

Toutes ces théories ont leurs adeptes et leurs détracteurs, certaines sont probablement obsolètes, d’autres peuvent fonctionner pour un groupe en particulier mais pour tout le monde. Toutes doivent être régulièrement remises en cause de par l’influence des évolutions naturelles de la société.

Après quelques semaines de confinement, il semble cependant que celle qui aura concrètement montré sa valeur est la théorie de l’autodétermination.

Cette théorie, proposée par Edward Deci et Richard Ryan, s’appuie, pour résumer, sur trois aspects : le besoin de compétence, le besoin de relations sociales, et le besoin d’autonomie.

Le besoin de compétence

Comme j’ai pu l’évoquer dans de précédents articles, et notamment celui sur le travail à cœur, chaque collaborateur a sa propre vision du travail « bien fait » et éprouve le besoin d’avoir les compétences pour réaliser correctement le travail prescrit.

Cela implique également la nécessité que ces compétences mises en oeuvre se traduisent d’une façon concrète avec un impact visible, une efficacité dans l’action et la satisfaction de la réussite.

Ce que nous pouvons observer ces dernières semaines, ce sont des collaborateurs qui ont besoin de traduire ce télétravail « imposé » en quelque chose qui fonctionne, dans lequel ils peuvent investir l’ensemble du champ de leurs compétences.

Ce qui est remarquable également, c’est donc que le travail tend à ne plus être prescrit sur le fondement des rôles identifiés dans les anciennes organisations ou des fiches de poste précisant à la lettre les tâches de chacun : désormais, ce sont les compétences qui sont mises en avant.

Ainsi, peu importe le rôle dans l’organisation, il a paru naturel à chacun de dépasser les missions étriquées qui leurs étaient initialement imposées pour prendre en charge ce qui rentrait dans le champ de leurs compétences.

Le besoin de relations sociales

Le besoin de relations sociales induit la nécessité, pour l’individu, d’une appartenance sociale à une communauté, et un besoin d’unité.

Tout aussi naturellement s’est dessiné ce besoin, dès la mise en place du confinement, par la création quasi systématique de communautés et de réseaux, via des groupes WhatsApp ou Google Meet, des équipes sous Teams ou Slack. Les individus ont, de façon instinctive, maintenu ce lien et cette unité, car elle leur est nécessaire.

Alors aujourd’hui, on demande expressément aux managers de favoriser ce lien par le biais de café virtuels, de communication dépassant le simple cadre professionnel car l’unité est une valeur inestimable.

Beaucoup d’entre eux n’avaient pas attendu ces consignes puisque, au final, cela fait partie de la nature des hommes. Sorti de la routine organisationnelle, l’Homme redevient l’animal social qu’il a toujours été.

Le besoin d’autonomie

Ce besoin est plus précisément identifié sous le terme d’auto-détermination.

En effet, chaque individu doit être en accord avec lui même et donc être en accord avec le travail prescrit. Si l’on voulait résumer l’auto-détermination, on pourrait dire qu’il se résume au sens que l’on trouve dans son activité.

Pour ceux qui travaillent actuellement (en télé-travail ou non), c’est le moment de vérité. Le sens n’a jamais été plus prégnant et il est mis en exergue quand il s’agit de maintenir des activités essentielles.

Ce qui a été observé, c’est le retour du sens dans la réalisation des activités. Celui-ci est clairement identifié, il est même l’objet des discussions passionnées, qu’elles soient informelles ou pas.

Le besoin d’auto-détermination s’appuie donc exclusivement sur la motivation intrinsèque des collaborateurs, celle-là même qu’on a longtemps méprisée dans l’application d’un management du contrôle et de la verticalité.

Et la motivation extrinsèque dans tout ça?

Et bien, comme c’était déjà le cas auparavant, ce type de motivation qui repose sur la carotte au bout du bâton a démontré son absolue inutilité.

Cela fait plus de 50 ans que la volonté de favoriser la performance par le biais de la motivation extrinsèque a été mise en défaut. Les études en la matière ont même prouvé que cette motivation extrinsèque était délétère et générait une perte de productivité et de créativité.

Mais cet état de fait, tellement contre-intuitif pour beaucoup, a constamment été ignoré : la motivation extrinsèque était encore le principal levier utilisé pour tenter de favoriser la motivation des collaborateurs pré-confinement.

Aujourd’hui, cette orientation étant mise à mal du fait des difficultés qui se posent à contrôler l’activité, c’est le meilleur moment de vérifier que ces théories étaient correctes. C’est un atout pour la nécessaire réorganisation de nos modes de pensée managériaux et une très bonne chose.

L’après

Il serait illusoire de croire que l’après confinement consistera en un simple retour à l’organisation du travail qui était à l’oeuvre auparavant.

Cette situation si particulière doit nous permettre de nous poser les bonnes questions. Il s’agit d’un appel à un réveil nécessaire, à repenser nos schémas de pensée.

Profitons donc de cette crise pour repenser le monde du travail. Il ne s’agit même pas d’en inventer un nouveau, mais plutôt de revenir à des choses essentielles qui sont en nous depuis notre préhistoire et qui ont juste été oubliées dès l’émergence de l’ère industrielle : les valeurs humaines, la communauté, le sens du travail, la confiance.

Ce sera le moment de faire de cette crise quelque chose qui nous fera avancer vers un monde meilleur.