Le droit à la déconnexion est un sujet assez consensuel et il est courant de voir de nombreuses publications sur ses bienfaits. Au delà de l’ironie de constater, sur LinkedIn par exemple, que les billets en question sont publiés le dimanche matin ou les jours fériés, il convient de prendre un peu de recul sur le sujet. Ce droit nouveau est-il un réel aboutissement?

La loi « El Khomri », dite « loi Travail », a imposé aux entreprises françaises le respect du droit à la déconnexion des salariés. La France est d’ailleurs le premier pays a avoir légiféré sur le sujet.

Vous avez donc probablement du signer une charte de la déconnexion. Cette charte vous assure que vos temps de repos sont garantis et que votre emploi n’aura plus d’impact sur votre vie familiale.

Politiquement correct

Une bonne chose dans l’air du temps, vous dites-vous peut-être? Alors dans ce cas, vous avez la même opinion que mon contradicteur imaginaire du jour : Jean-Michel Bon-Sens.

Alors voilà ce que j’en pense : cette loi est une rustine qui tente maladroitement de masquer l’inadaptation du monde du travail à la société moderne. Elle incite tout à chacun à concentrer sa disponibilité professionnelle chaque jour de la semaine entre 8h et 18h.

Avons-nous deux vies?

Peut-on vraiment considérer que nous sommes disponibles de façon équivalente toute la journée? Peut-on croire que, d’une façon assez schizophrène, nous aurions deux vies totalement distinctes?

Ce serait ignorer que pour beaucoup d’entre nous, et c’est particulièrement le cas pour les managers, le travail a évolué et n’est plus linéaire. Il est composé d’une myriade de tâches plus ou moins urgentes pour lesquelles nous sommes plus ou moins nécessaires. Mon article sur la surcharge de travail évoquait cet état de fait.

A l’heure où le télétravail se démocratise, où le rôle du manager évolue, notre présence est-elle nécessaire de façon constante.

Le travail « ubérisé »

On parle facilement « d’ubérisation » du travail avec dédain et en y opposant nos convictions et nos valeurs. C’est peu étonnant tant il est révoltant de voir ces livreurs, ces chauffeurs de voitures et consorts se tuer à la tâche pour une rémunération bien trop mince.

Mais si les entreprises qui adoptent ce schéma engrangent les bénéfices, c’est aussi parce que le postulat de départ est exact et qu’elles répondent à un besoin : la demande est désormais déstructurée et la réactivité est une priorité.

Loin de moi l’idée d’approuver ce néo-libéralisme forcené qui assomme ces travailleurs précaires. La flexibilité leur est imposée et les risques psychosociaux qui en découlent sont majeurs. Mais si nous prenions un peu de recul. Et surtout : si nous retournions la situation?

Les horaires ont-ils encore un sens?

Vous avez pu faire l’expérience de tenter de vous concentrer sur une tâche à forte charge cognitive et mettre un temps infini à accomplir celle-ci du fait d’être constamment sollicité. Est-ce efficace?

Comme Jean-Michel, ne vous dites-vous pas parfois que vous ne passez pas assez de bon temps avec vos enfants. Ne serait-il pas agréable de manger avec eux le midi ou d’aller les chercher à la sortie de l’école chaque jour. Prendre vos mercredi? Impensable si l’on ne veut pas se voir écrasé par la tâche à notre retour.

Vos RTT ne finissent-ils pas accumulés sur votre compte épargne temps puisque ce n’est jamais le bon moment de les poser?

De la même façon, certaines compétences ne s’inscrivent pas dans une organisation stricte du travail. La créativité, par exemple, est soumise à de nombreuses variations dans son intensité : le processus créatif ne rentre pas dans les cases d’un agenda et il n’est pas rare d’avoir une idée sous la douche ou en faisant les courses plutôt que lors d’une réunion…

Négocions notre flexibilité

Au lieu de se voir imposer une rigidité anachronique dans notre organisation du travail, peut-être serait-il salutaire de négocier de la flexibilité. Pouvoir vivre sa vie comme on l’entend tout en répondant aux exigences de son employeur. Laissez donc Jean-Michel prendre deux heures pour lire la fin de son livre et s’évader de ses tâches quotidiennes! Il n’en sera que plus efficace ensuite.

Mais pour cela, il faut accepter de ne pas être totalement déconnecté, mais plutôt apprendre à maîtriser sa connexion. Il est en effet aisé de se retrouver à travailler tout le temps si on ne s’impose pas des limites. En ça, cette loi est salutaire. On ne pourra pas se voir reprocher de privilégier sa vie personnelle.

Un nouvel équilibre

Au final, il semble qu’un nouvel équilibre soit à découvrir, laissant enfin de côté la pointeuse et les horaires fixes pour se tourner vers plus de temps libre, de télétravail, d’absence d’horaires imposés.

Chacun doit redevenir maître de sa propre vie, qu’elle soit professionnelle ou personnelle. Les deux sont, j’en suis persuadé, intimement liées et apportent chacune leur satisfaction propre. Soyons connectés quand nous le souhaitons, vivons mieux notre travail, vivons mieux notre vie.