Le monde de l’entreprise évolue et, graduellement, l’accent est mis sur la réussite collective plutôt que sur la réussite individuelle. Il est désormais demandé aux équipes de s’inscrire dans un projet d’entreprise collectif, aux managers d’engager des démarches participatives, les « soft skills » ont le vent en poupe…

Dans ce contexte, il est nécessaire de se poser la question : les objectifs individuels ont-ils encore un sens?

Le contexte

Pendant de nombreuses années, les salariés ont été évalués sur la base de résultats empiriques : indicateurs de production, respect du travail prescrit et des process en vigueur. Rappelez vous de vos cours de management : les objectifs se doivent d’être S.M.A.R.T. et donc spécifiques, mesurables et évaluables dans le temps.

J’ai déjà donné ma vision des choses : considérer que chacun travaille de la même manière et doit obtenir le même résultat est un non-sens. Cela génère de la frustration, des vexations et un individualisme forcené. Au final, personne n’y gagne si chacun travaille pour soi.

Comment évalue-t-on un « soft skill »?

Dans mon article sur la pensée design (« osez la créativité radicale »), je vous parlais de la méthode de pensée du design thinking et je vous invitais à développer la curiosité et la créativité de vos équipes pour innover.

Seulement, comment évaluer la créativité, l’implication, la curiosité, l’anticipation, l’intuition? Ces compétences sont, par essence, non mesurables. De même, le processus d’innovation n’a pas de temporalité propre car il veille à améliorer continuellement le produit fini.

Par définition, et comme l’a démontré mon aventure sur l’équipe idéale, la fixation d’un objectif de groupe favorise cette innovation. L’objectif collectif est, lui, parfaitement mesurable et temporel.

S’engager sur la voie de la démarche design, c’est donc évidemment favoriser l’objectif collectif.

Chaque humain est différent

Comme j’ai pu l’évoquer dans mon article sur le travail à cœur, où je reprenais les thèses d’Yves Clot, il me semble urgent de recentrer le management sur l’humain. Chacun de vos collaborateurs est différent et, de fait, apportera sa propre vision du travail « bien fait ».

Le développement d’un management porté sur les appétences, le mouvement de libération des collaborateurs qui en découle par nature ne sont-ils pas contraires à une évaluation individuelle?

Objectiver c’est comparer. Or, si chaque humain est différent, que peut-on comparer?

Vendre le « besoin d’échouer » et continuer à évaluer, n’est-ce pas schizophrène?

Dans l’article « échouez rapidement pour réussir plus vite », j’exprimais la conviction suivante : l’erreur n’est pas seulement inévitable, elle est essentielle à la réussite et à l’innovation. Je vous invitais alors à promouvoir l’échec, non pas comme un risque mais une opportunité.

Donner un objectif individuel, n’est-ce pas tuer dans l’œuf cette volonté de s’aventurer sur les chemins de la créativité?

Il apparaît compliqué de fixer un objectif clair et défini si l’on souhaite favoriser le besoin de tester de nouvelles choses, d’échouer et d’améliorer.

Beaucoup de questions

Voilà donc les nombreuses questions qui se posent lorsque nous laissons de côté le micro-management pour s’ouvrir à des objectifs collectifs.

Ces questions, on me les a posées.

Je dois avouer qu’elles ne m’étaient pas apparues aussi évidentes de prime abord. Pourtant, autant de la part de la hiérarchie que des collaborateurs, le besoin de résoudre cet épineux problème s’est largement fait sentir.

Alors, devons-nous maintenir à tout prix les objectifs individuels?

La réponse est « noui »

Il est remarquable de constater à quel point les organisations peuvent s’engager les yeux fermés sur un seul chemin comme une mode sans prendre de recul sur la richesse des diverses méthodes.

Le management n’est pas une science exacte et offre régulièrement des réponses de normand. D’ailleurs, si l’on s’obstine à s’adonner à une seule manière de manager, l’échec risque de se trouver au bout de la route.

De mon côté, je ne vous vendrai pas une recette miracle, mais je pense que vous auriez tort de ne pas miser sur le collectif, la créativité, l’innovation et la complémentarité de vos collaborateurs.

Le besoin d’être évalué

Cependant, le besoin se fait parfois ressentir, lors d’un entretien annuel par exemple, d’individualiser l’analyse du travail fourni.

Ce n’est pas toujours le cas. Certains n’ont pas besoin d’objectifs individuels : ils savent très bien s’auto-évaluer et savent discriminer naturellement leurs réussites et leurs échecs.

D’autres collaborateurs, à l’inverse, ont un besoin d’évaluation, de comparaison, d’indicateurs de leur propre réussite.

Il est nécessaire, en tant que manager, de savoir varier de type de management. Même si il est souvent décevant à mes yeux de fixer des objectifs chiffrés purement SMART, il seront pourtant parfois inévitables.

Comment faire pour concilier tout ça?

La solution viendra peut-être de vos collaborateurs eux-mêmes. Le problème ainsi posé, il serait judicieux de penser « design ».

La première étape sera de se mettre à la place de ceux-ci. Qu’attendent-ils de cette évaluation? J’irai même plus loin, quels sont les objectifs à atteindre selon eux? En bref, qu’est-ce que leur vision du travail « bien fait »?

Pour le savoir, il n’y a qu’une seule façon : leur demander.

Le principe : laisser la mains à vos collaborateurs pour fixer leurs objectifs. Ou même aucun si ils n’en éprouvent pas le besoin. Cette réflexion sur leur activité, déjà engagée si vous développez un management par appétence, vise à redonner du sens au travail, et de la même façon responsabiliser sur la poursuite de l’objectif.

Les objectifs peuvent être divers et même intrinsèquement innovants : satisfaction client, développement de partenariats, animation de la vie de l’équipe, amélioration d’un produit.

Rendez de la valeur au travail

S’appuyer sur la vision de chacun, c’est s’ouvrir à l’intelligence collective. Chaque collaborateur veut bien faire et vous le montrera d’autant plus si il a la possibilité de définir ce que « bien faire » signifie pour lui. Les objectifs individuels n’ont un sens que si ils sont le fruit d’une réflexion concertée.

Il est urgent de redonner du sens et de la valeur au travail. Sans cette volonté, le risque de faire le jeu de la souffrance au travail est important.

Je vous donne ici ma proposition. Elle n’est pas infaillible et ne s’appliquera pas à tous. Si vous avez la même conviction, votre méthode sera la bonne également. Croyez en vous et vos équipes et avancez vers l’intelligence collective!