Le droit à l’erreur est un vaste sujet qui comprend de nombreuses dimensions.
Dans la sphère des techniques de l’enseignement, il est désormais admis que l’erreur est une étape inévitable et même nécessaire de l’apprentissage. Même si vos souvenirs d’écoliers ou encore les notes écrites en rouge sur les devoirs de vos enfants semblent encore dire le contraire, les nouvelles méthodes pédagogiques ont pris conscience de cette partie inhérente à l’acquisition des connaissances.
Je cite Daniel Favre (Professeur de sciences de l’éducation et de neuro-physiologie à Montpellier) :
[…] il semble nécessaire que les enseignants modifient leurs représentations du savoir […], de l’acte d’enseigner (passage de la transmission des connaissances à l’aide apportée à l’apprenant pour se les approprier) et de l’image qu’ils ont encore de ce qu’est un enseignant idéal (celui qui sait, qui ne se trompe pas et dont l’ampleur des connaissances est proportionnelle à la valeur personnelle). Ces représentations proviennent, me semble-t-il, de leur propre expérience d’élèves et, faute d’avoir été interrogées suffisamment au cours d’une formation pédagogique encore trop centrée sur les contenus de l’enseignement, elles n’ont pas pu être remises en question dans la plupart des cas.
http://ife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise-de-pedagogie/INRP_RF111_5.pdf
Le droit à l’erreur vu par l’administration, par le biais de la loi ESSOC (loi pour un État au service d’une société de confiance) est vue comme une action visant à restaurer la confiance entre les administrés en admettant la complexité à laquelle doivent faire face les citoyens à l’égard de leurs démarches administratives. S’y mêle également une volonté pédagogique.
La « loi pour un État au service d’une société de confiance » s’inscrit dans la volonté du Gouvernement de moderniser l’action des services publics. Elle comporte 2 piliers : faire confiance et faire simple et s’adresse à tous les usagers – particuliers ou entreprises – dans leurs relations quotidiennes avec les administrations. Des mesures emblématiques : droit à l’erreur – médiation généralisée dans les Urssaf – relation de confiance.
https://www.economie.gouv.fr/droit-erreur
Et le droit à l’erreur en entreprise?
Le droit à l’erreur vu du point de vue de l’entreprise englobe tout d’abord certains de ces concepts devenus évidents à la plupart d’entre nous :
L’erreur a une vertu pédagogique et chaque salarié devra se tromper avant d’accomplir sa tâche de façon satisfaisante. Cette vision du droit à l’erreur est particulièrement mise en avant dans le cadre de la formation des salariés, mais elle apparaît également si l’on s’applique à réaliser des feedbacks réguliers à ses collaborateurs : il ne s’agit plus de punir mais de trouver des solutions pour accompagner et progresser.
La complexité des tâches confiées ne peut être ignorée, et ainsi l’erreur est inévitable et doit donc être encadrée. La supervision s’engage à repérer l’erreur, déterminer son périmètre (individuel ou collectif) et viser par de l’accompagnement formatif ou des processus d’amélioration continue à éviter ou limiter sa reproduction.
Comme j’ai pu l’indiquer dans mes articles précédents, ce droit à l’erreur s’applique à tous, et notamment au manager qui aura tout intérêt à faire état de ses erreurs si il souhaite instaurer une relation de confiance avec ses collaborateurs et casser le dogme du management vertical.
Management bienveillant ou empathie?
Mais est-ce les seuls cas où le thème de « l’erreur » doit être abordée?
J’ai déjà évoqué que la notion de management bienveillant ne me convenait pas tout à fait. A mon sens, elle garde une connotation paternaliste qui veille à conserver les acquis d’une position supérieure du manager sur son collaborateur : « j’excuse ton erreur mais tu vas devoir t’améliorer ».
Je préfère largement le terme d’empathie puisqu’il implique que le manager doit alors se mettre « à la place » de son collaborateur. Voyez-vous où je veux en venir?
Le « besoin d’échouer »
Il est important de poser ici une évidence parfois peu avouable : la perfection n’existe pas. Ce n’est qu’un idéal, une direction. Et concrètement, ni vous, ni moi, ni votre collaborateur ne trouvera la formule magique qui permettra un tel accomplissement dans l’activité.
Revenons sur l’équation simpliste que j’avais évoquée dans un précédent article :
Pensée design + Agilité + Lean = Intelligence collective
A ce titre, je considérerai que ce qui se rapproche le plus de la perfection, c’est l’impulsion de cette intelligence collective si ardemment souhaitée.
Defective by design
La démarche design est la première étape de ce cheminement. Pour plus de détails sur ce mode de pensée, je vous renvoie vers mon article « Osez la créativité radicale : la pensée design ». Cette démarche vise à favoriser l’innovation d’une façon radicale et volontariste.
Le thème de l’erreur y est un élément central. Elle devient absolument nécessaire. Tim Brown, dans son ouvrage « l’esprit design » (lisez le!), évoque ainsi un des devises de son entreprise :
« échouer rapidement pour réussir plus vite. »
Sans erreur, pas de créativité
L’erreur est un moteur de la créativité. C’est ce qui fait la différence entre l’artisan (qui reproduit un schéma de fabrication, un process) et l’artiste (qui créé, invente quelque chose de nouveau, d’inédit). Les artistes se trompent, c’est même leur principale activité, le processus de création n’est que le fruit d’erreurs successives.
Une étude menée par Valentin Wyart, publiée dans la revue Nature Neuroscience établit que des erreurs dans les mécanismes cérébraux impliqués dans l’évaluation de nos options sont à l’origine de la créativité. Ce constat n’est finalement que peu étonnant quand on constate que de nombreuses découvertes sont le fruits de l’erreur. Sans erreur, pas de pénicilline, Christophe Collomb ne découvre pas l’Amérique, pas de pacemaker, adieu les « bêtises » de Cambrai… pour ne citer que quelques exemples fameux.
En tant que manager, il est important de redonner de la valeur à l’erreur. Elle doit être plébiscitée et même valorisée. En usant d’empathie, en encourageant la volonté de tester, d’essayer, de ne plus avoir peur de rater, on favorise l’émergence d’idées innovantes qui ne manqueront pas de rétablir la confiance et d’apporter de nombreuses réussites.
L’erreur a-t-elle un coût?
Qu’en est-il du coût de l’erreur? Est-ce que l’on peut considérer le temps perdu à échouer comme un défaut dans cette machine créative?
Dans un système par processus purement évaluatif et itératif ou chacun tente de rester dans le clou des normes en vigueur et n’ose pas faire évoluer les choses, il apparaît un phénomène d’immobilisme qui bloque l’entreprise et l’empêche de s’adapter aux évolutions sociétales permanentes. Ce coût là est bien plus important et l’impact est d’autant plus large.
Oui l’erreur a un coût, mais il est sans commune mesure avec l’avantage indéniable de redonner à chacun la possibilité de s’investir, de s’impliquer, d’innover et de responsabiliser les individus.
L’émergence de l’intelligence collective
L’intelligence collective est à ce prix. Reprenons l’exemple de l’organisation de l’équipe « idéale » (j’y reviens souvent à notre équipe « idéale ») : chaque erreur affirmée (et non plus « avouée ») a été à l’origine d’améliorations des processus de travail, des consignes, de remises en question sur les méthodes de travail, ce qui a amené l’équipe sur la voie d’une réussite construite collectivement.
Evidemment, dans cet état d’esprit, l’erreur en entreprise n’est rien sans la volonté de l’exploiter, de la comprendre (démarche design), de trouver des solutions rapides, efficaces et collectives (agiles) et de se remettre perpétuellement en question et en mouvement (Lean).
Il est urgent d’échouer. Vous. Vos collaborateurs. Chacun doit avoir le moyen de pouvoir le faire. Soyez honnêtes, et acceptez là, embrassez là et faites-en l’un des leviers de vos réussites.