Devant ce titre quelque peu provocateur, je dois vous faire part de mon amusement. Pourquoi le fait de faire participer les collaborateurs aux décisions ne mènerait à rien? La démarche collective est-elle sans issue?
Ceux qui ont lu mes autres articles, particulièrement ceux qui ont suivi l’aventure du travail à cœur, doivent me penser schizophrène. Alors oui, je précise le titre : la façon dont nous intégrons, la plupart du temps, les collaborateurs aux décisions ou aux projets n’est pas propice à apporter des solutions utiles ou innovantes.
La conduite du changement
Depuis longtemps dans les entreprises, face à un projet devant mobiliser les salariés, un changement organisationnel ou même un problème structurel, les managers, poussés d’ailleurs par leur hiérarchie, n’hésitent pas à faire « participer » leurs collaborateurs à des groupes de travail.
La participation aux groupes de travail est même fortement encouragée car elle sensée être la concrétisation de la motivation des collaborateurs. La motivation est ainsi parfois bassement évaluée sur la participation « active » à ces moments de démocratie d’entreprise (sentez l’ironie).
Mais faire participer est utile, n’est-ce pas?
Peut-être que, en tant que manager, vous avez vous-même l’impression que ces groupes de travail sont nécessaires et que les salariés qui y participent manifestent là leur motivation et leur implication. En réalité, même en tant que managers, il est parfois difficile de prendre du recul sur la situation.
Prenons un exemple.
Imaginons la réorganisation d’un service, devant apporter des contraintes supplémentaires aux équipes ou modifier les tâches des salariés. Bien évidemment, il faut faire « accepter » le changement aux collaborateurs de ce service. Comment conduire le changement de manière à limiter « la casse », à faire passer en douceur des évolutions qui risquent d’être mal ressenties pas les équipes.
A ce moment, au détour d’une réunion, le mot sera lâché, souvent suggéré de manière assez fine par la hiérarchie : pourquoi ne pas organiser un groupe de travail sur le sujet.
L’outil magique
Le groupe de travail serait donc cet outil magique qui doit permettre de trouver un consensus, faire émerger les idées, résoudre les inégalités de classe et horizontaliser le pouvoir de décision.
Qu’en est-il réellement?
Il faut d’abord faire un constat. Tout d’abord, la démocratie en entreprise n’existe pas. Enfin, elle PEUT exister en partie dans les entreprises ayant fait le choix d’une libération majeure des équipes, mais même dans ce cas, il est difficile de parler de démocratie. Les sociologues utiliseront le terme « soumission librement consentie ».
Il y a quelque temps, un intervenant dont l’objet de la visite était d’encourager l’innovation, avait posé cette question à plusieurs cadres : « qu’est-ce qui est souhaitable pour un groupe de travail efficace ». La vérité du mode de pensée des managers ne s’est pas faite attendre : « bien définir le contexte, ne pas sortir du cadre fixé ». A cette affirmation, je m’offusquais : ne serait-ce pas l’inverse?
Tout aussi dure à entendre qu’elle était, cette réponse était tout simplement réaliste. Et de toute façon, dans ce modèle, accepté par tous, de soumission librement consentie, quel employé viendrait perturber le fonctionnement de cette machine et mettre à défaut son responsable hiérarchique en proposant des solutions qui sortiraient du cadre. La réponse, vous la connaissez.
Adieu l’innovation
Ainsi les groupes de travail, envisagés sous cet angle, ne mèneront qu’à des ajustements mineurs, des itérations légèrement modifiées d’un modèle usé. Puis tout le monde se quittera en se disant avoir fait du « bon boulot », un compte rendu sera adressé à la hiérarchie qui se félicitera de ce travail « d’équipe ». Rien n’aura changé.
Voilà pour la partie pessimiste. Hop, on en sort.
La pensée design
N’existe-t-il pas d’autres manières d’envisager ces moments de collaboration? Bien évidemment qu’ils existent. Mais, pour qu’ils soient utiles, il est nécessaire de passer plusieurs étapes.
Premièrement : ignorer le cadre. Nous sommes là pour innover, pour « rêver » à meilleur. La pensée design vous parlera d’idéation.
Deuxièmement : ne pas attendre une solution finie, un résultat propret et sans défaut. Accepter que ce ne sera pas forcément présentable en l’état. On parlera de conceptualisation.
Troisièmement : certaines solutions pourront paraître bizarres, régressives, ou à l’inverse trop novatrices, mais chacune de celles qui auront émergée avec suffisamment d’ardeur méritent d’être testées.
Ce que je commence à vous décrire là, ce sont les pré-requis d’une démarche design. Je consacrerai un article complet à ce mode de pensée, tant il me parait important de propager l’idée qu’il est possible d’innover ensemble, avec nos équipes et pour le bien de l’entreprise. Cela demande de passer par les voies sinueuses de la création : tests, erreurs, doutes, réussites, améliorations continue.
Comme nous le verrons, rien de tout cela n’est simple à faire accepter, que ce soit par sa hiérarchie comme par ses équipes. Mais si vous acceptez ces contraintes, vous pourrez alors réellement contribuer à redessiner le futur.