Vouloir créer une équipe soudée et performante, c’est bien, mais ça reste un souhait bien incertain.

Suite à mon article précédent (commencer à penser « autrement »), un état des lieux s’impose. Nous avons donc :

  • un groupe de collaborateurs, travaillant dans des unités de production distinctes, parfois même en télé-travail, qui ont choisi cette activité,
  • une mission complexe nécessitant une forte expertise,
  • des employés déjà rompus à l’exercice mais aussi de nouveaux arrivants avec moins d’un an d’expérience,
  • des contraintes de production : les collaborateurs affectés à cette tâche ne seront pas compensés sur les autres secteurs de production,
  • de nombreux changements dans la procédure de traitement, imposés au dernier moment.

Fin du moment de solitude.

Une première réunion de démarrage va nous permettre de lancer la campagne. Ce sera le moment de se mettre d’accord sur la façon de procéder.

Tout se passe bien : un planning est désormais prévu deux semaines à l’avance sur des demi-journées. Un brief sera organisé avec l’équipe chaque lundi pour faire le point sur les évolutions et difficultés rencontrées. J’insiste auprès d’eux sur le fait que, comme il a été convenu, je vais me mettre en relation avec les autres services qui interviennent dans la chaîne de traitement afin de se coordonner et fluidifier l’information. Les sourires sont là. Tout est au beau fixe.

C’est également l’occasion de rappeler les consignes de traitement et les procédures qui devront être mises à l’oeuvre. Je passe rapidement un PowerPoint créé à la va-vite suite aux dernières instructions et modifié le matin même, dans sa quasi globalité, suite à une nouvelle modification de la procédure qui nous est imposée. Travailler dans l’urgence ne me pose pas de problème, j’y trouve même beaucoup de satisfaction et mon inclination à « l’improvisation contrôlée » (terme que je devrais breveter) est satisfaite. Je me retourne et … quelques sourires ont quitté la salle.

Voyez-vous, quand le choix a été fait d’intégrer de nouveaux arrivants, j’avais à l’esprit qu’ils avaient eu une formation, fut-ce-t-elle minimale, sur le sujet. Il n’en était rien. Pire, ils n’avaient jamais même vu de quoi je parlais.

Avec le plus de sang froid que je trouve en moi, j’organise déjà dans ma tête la formation à réaliser. L’urgence nécessite que ce soit moi qui la prenne en charge, tandis que mon agenda semble s’y opposer fermement. Je termine la réunion en gardant un sourire serein (disons que je suis un optimiste forcené).

Après quelques décalages et annulations de réunions, j’organise donc, quelques jours plus tard, un temps de formation avec les quatre petits nouveaux. Coup du sort, l’un d’entre eux est absent. Tant pis, pas moyen de reculer. Je prends le temps d’expliquer les méandres du traitement de ces dossiers aux trois restants. Heureusement, leur motivation est là et je vois qu’ils intègrent très rapidement toutes ces nouvelles informations. Leur intérêt est évident et y participe beaucoup. Je crois que c’est bon.

La cellule de traitement est donc mise en place, je coordonne le planning en jonglant avec leurs autres activités. Beaucoup de travail à l’horizon mais rien ne semble gâcher la fête. Tout le monde est OK sur les consignes de traitement. Tout le monde est OK sur l’organisation. Tout est OK. C’est parti.

Mais ça devient trop simple. Tout ça ne suffit pas pour faire une équipe. Mon souhait est de quitter mon perchoir de donneur de consigne et d’être proche de mon équipe. Le premier brief est… décevant. J’attends des questionnements. Mes collaborateurs attendent des consignes. Il y a malentendu.

J’en profite pour faire un petit aparté. Rendre le management « collaboratif » est un sacerdoce. Le manager qui aura choisi cette voie (et il faut qu’il l’ait choisie de sa propre initiative) va affronter des résistances.

  • Celles de sa hiérarchie : dans cette situation, celles-ci étaient attendues et rapidement résolues par des négociations de moyens plutôt à mon avantage.
  • La résistance la plus difficile à résoudre : celle de l’équipe elle-même! Tant habitués par des années à répondre aux consignes sans s’interroger ou pouvoir échanger, sans être acteurs de leur propre activité, ils en étaient devenus réticents à la l’autonomie qui leur était offerte, comme un prisonnier qui n’oserait plus quitter sa cellule.

Dans mon article sur le travail à cœur, j’ai évoqué le terme « déshumanisation du travail ». Le mot peut paraître fort. A la vérité, il ne s’agit là que de l’héritage des pratiques managériales de la première moitié du vingtième siècle. On pourrait parler longuement des dérives du Lean qui le rapproche parfois du Taylorisme lorsqu’il est mal appliqué (d’ailleurs j’en ferai un article). Le travail est alors monopolisé par un pouvoir vertical et descendant auquel tout le monde est soumis jusqu’au plus petit échelon qui, lui, paie le plus lourd tribu : l’acceptation de son sort.

A ce moment, je suis encore plus convaincu de ma vision. Dans le même temps, je me rends compte de la tâche à accomplir. Il va falloir tenir bon. Le premier objectif est de lever cette résistance par des réussites. La coordination avec les autres services devient mon Saint Graal. Chose entendue, je rencontre la responsable de cet autre service qui s’occupe de la vérification comptable des traitements effectués par mon équipe. Se mettre d’accord sur la procédure est primordial afin d’éviter les vexations et la lassitude liée aux rejets de leurs traitements.

Heureusement, nos convictions sont proches et la volonté est commune. La vision est partagée et c’est un énorme « ouf » de soulagement que je pousse. Nous étudions la procédure et nous promettons de nous tenir informés au fur et à mesure de la campagne, une réelle coopération est engagée. C’est une victoire pour l’équipe (et pour l’entreprise).

Au fur et à mesure des semaines, au fur et à mesure des briefs, la confiance s’installe avec l’équipe. Plus forte pour certains, toujours relative pour d’autres. Petit accroc, le télétravailleur est en à son domicile le lundi. Je comprendrai plus tard l’attention que j’aurais du porter à ce détail.

Le train roule ainsi sur de bons rails même si une charge de travail accrue et imprévisible met à mal le planning prévu. Rien de très grave. La transversalité interservices et l’appui constant aux équipes permet de passer cette étape et d’avancer sereinement…

… jusqu’à ce jour d’avril. Un jour glacial et froid (ok j’arrête le côté mélodramatique mais il faisait vraiment froid, je vous l’assure)… Lors d’une réunion de service, à laquelle mon responsable a d’ailleurs choisi d’assister, il est remonté par les autres collaborateurs une difficulté qu’ils rencontrent, directement liée à l’organisation de l’activité de mon équipe.

Je vous explique : comme tout travail administratif impliquant de la liquidation de dossiers, les impacts des traitements effectués peuvent être de toute nature. Gestion des mails, des réclamations, des visites des clients, recours, contentieux… Les collaborateurs non-spécialisés se retrouvaient donc en grande difficulté pour répondre à ces sollicitations, puisqu’ils étaient étrangers à l’activité en question, et le firent savoir avec toute l’ardeur des lundi matin d’avril.

Alors, réussite ou échec? Aucun des deux. Quand on pense au management d’une manière globale, si l’on s’applique à « réfléchir » les choses avec une « démarche design » (cet article sur le design thinking est vraiment nécessaire et je ne vais me pencher dessus au plus tôt), il s’agit plutôt d’une opportunité. Échouer pour mieux réussir. L’échec était relatif, je vous l’accorde, mais l’opportunité était réelle. C’était le moment d’entamer la phase 2 de cette campagne lourde en rebondissements que je vous évoquerai dans le chapitre 2 : The Team Rises.