Comme j’ai commencé à l’évoquer dans mon précédent article sur le travail à cœur, penser « autrement » en tant que manager demande de vouloir remettre en question ses convictions. Il s’agit bien d’une démarche personnelle. Pour autant, elle peut être alimentée par les expériences des autres, comme la mienne le fut par les lectures des livres d’Yves Clot et de Tim Brown (article à venir sur le design thinking).
Je vais donc tenter de vous partager ma propre expérience. Par « expérience », je parle bien de concret, d’essais, de tests, de doutes, de réussites et d’échecs. Nous parlerons ultérieurement du droit à l’erreur (que je qualifierai même de « besoin d’échouer »), mais gardez-le en tête : le management n’est pas une science exacte et rien ne sera jamais parfait. D’ailleurs, personne ne possède la vérité ultime et le raisonnement absolu dans ce domaine. Mon avis est qu’il est important de choisir un bon angle d’attaque et de savoir ce que l’on veut. Cela implique une chose tout d’abord : se connaître soi-même.
La première année
Au delà de la gestion d’une unité de production, il m’avait été confié la mise en place d’une cellule d’expertise destinée à traiter des cas complexes avec une obligation de résultat sur des objectifs ambitieux. Mon premier réflexe a donc été celui-ci : choisir les collaborateurs dont j’avais conscience qu’ils possédaient l’expertise en question et construire une équipe de onze personnes « désignées volontaires ». Ainsi la machine fut mise en place sur l’idée que je me faisais de mes collaborateurs, de leurs désirs et de leur vision du travail. Ce dont je ne me rendais pas compte à ce moment, c’est que je leur imposais en réalité la mienne.
Cette première année se déroula à première vue sans encombres. Les consignes de traitement étaient décidées chaque semaine en marge de l’établissement du plan de production du service, puis données à l’équipe par mail. L’équipe accomplissait les tâches d’une manière satisfaisante et, même si quelques embûches empêchèrent le respect strict du rétro-planning établi au début de la campagne, les objectifs furent atteints en appliquant les préceptes des méthodes agiles. L’heure du bilan sonnait et ce fut à ce moment que l’erreur initiale apparût comme une évidence.
Un bilan surprenant
Sentant les équipes fatiguées et lassées de cette activité, je me décidais, pour la première fois, à réellement les écouter. Cela passa par la mise en place d’un atelier d’optimisation (le Lean toujours). Ces ateliers sont, sur le principe, une idée brillante, les équipes peuvent remonter les difficultés et l’encadrement établir un plan d’action : l’amélioration continue (kaizen pour les intimes) est en marche. Pour autant, en réalité ce n’est pas toujours le cas. Je rédigerai un article sur les différentes manières d’aborder ces ateliers (et particulièrement sur les ateliers de créativité ou d’idéation) car leur approche est ce qui me semble le plus important pour leur donner du sens. Pour en revenir à notre histoire, nous fûment donc réunis pour discuter de cette année passée avec la promesse donnée d’une ouverture franche à la critique. La question posée : qu’est-ce qui n’a pas fonctionné?
Tandis que les Post’it remplissaient le mur, la détresse de certains apparaissait face à cette activité qui était parfois mal ressentie. L’idée du travail « bien fait », si personnelle devenait claire. Mon idée du travail « bien fait » : le respect des indicateurs et des ratios de production et l’atteinte de l’objectif. Pour certains collaborateurs, « bien faire » c’était plutôt s’attacher à la qualité du service rendu, pour d’autres la vie de l’équipe était le plus important… Pour tous, l’acceptation du travail prescrit était une nécessité. Il devenait important de redresser la barre.
Construire une équipe
Face à ce constat, je décidais alors de tenter de « construire » une équipe. Facile à dire, un peu plus compliqué dans la réalité. Cela dépend d’abord de ce que l’on entend lorsqu’on parle d' »équipe ». Ma vision : de l’entraide, de la responsabilisation, de la proximité et de l’écoute permanente. Je vous avoue que même moi j’ai pu trouver cette vision utopique mais qui ne tente rien n’a rien. Je me lançais donc à corps perdu dans ce projet.
Première étape : partager ma vision et faire adhérer. Il fallait être honnête. Cette activité est complexe et fastidieuse. Il fut demandé à l’ensemble des collaborateurs du service de se positionner dans un appel à volontariat. Oui, cette campagne allait être intense et j’allais leur demander beaucoup, mais chacun de ceux qui souhaitaient s’investir allaient pouvoir également gagner en expertise et faire partie de cette fameuse « équipe » idéalisée. Certains collaborateurs de la campagne précédente souhaitèrent continuer (la majorité), probablement curieux des changements opérés. D’autres se joignirent à l’entreprise, notamment de jeunes arrivés (ce qui m’intrigua au premier abord).
Deuxième étape : respecter cette vision. C’est là que les choses allaient devenir compliquées. Ce sera l’objet du prochain article : une équipe libérée – Chapitre 1 : The Team Begins.
Spoiler alert : ce challenge ne s’avéra pas aisé, et il aura été l’occasion d’apprendre énormément.